La tête sous sa patte se
débattait vainement. Il raffermit sa prise, planta ses griffes un peu plus
profondément dans la chair de la victime, et le sang perla. Il maintint la tête
de l’autre dans la boue, étouffant un gargouillis de noyé. De petites bulles
grossirent et éclatèrent à la surface. Le corps fut pris de soubresauts, comme
des spasmes, les griffes raclant désespérément le sol et la longue queue rose
fouettant follement l’air, pour finir par s’immobiliser complètement. Il appuya encore sur
la tête quelques instants, puis relâcha la pression. L’autre ne bougea pas. Un
sourire garni de dents acérées se dessina sur son museau, tandis que la touffe
hirsute de poils gris s’enfonçait dans la boue.
Qu’un-Œil s’écarta de la
dépouille de son fils en boitant, sa patte arrière droite encore marquée par la
morsure fraîche récoltée lors du combat. Fut un temps où il s’en serait sorti
sans égratignure, malgré son œil aveugle. Il se faisait vieux. L’idée lui
déplaisait. Un rat dominant en état de faiblesse était un rat mort. Il
s’ébroua, pour chasser les mauvaises pensées. Il n’en était pas encore rendu
là.
Les
parois du tunnel tremblèrent, et une pluie de poussière et de terre tomba. Qu’un-Œil
leva la tête, humant l’air, à l’affut, mais les secousses s’arrêtèrent. Il y en
avait de plus en plus ces derniers temps. Et elles semblaient se rapprocher,
inexorablement. Qu’un-Œil avait peur de ce qu’il se passerait si jamais elles
les trouvaient. Quelque chose de mauvais, certainement. De macabre. Il eut la
vision de centaines de rats flottant dans une boue épaisse et gluante de sang,
tous morts, des vers blancs grouillant dans leurs fourrures. Il ne put réprimer
un grognement. Les idées noires ne le quittaient plus depuis quelques jours,
elles s’incrustaient dans son esprit comme la crasse des souterrains. Elles
empoisonnaient même ses rêves, désormais. Cela faisait trop longtemps qu’il
n’était pas allé voir la Pierre. La contempler, se baigner dans ses doux rayons
lui ferait du bien.