Face de Porc s’approcha de la mère, et la petite s’attendit presque à ce qu’il se lèche les babines. Il se colla à elle, son groin humant ses cheveux. Il ne remarquait pas l’odeur infâme, que Salem pouvait pourtant sentir à quelques pas de là. Il rapprocha sa bouche humide contre l’oreille de sa mère, murmurant d’ignobles choses. Salem n’avait pas besoin de les entendre pour le savoir. Il glissa sa grosse main le long de la hanche de la femme, et la referma brutalement sur ses fesses. Sa mère ne réagit pas. Elle semblait éteinte. Résignée. Et cela fit plus de mal à Salem que le geste odieux de Face de Porc. Son cœur se contracta violemment, et elle faillit vomir.
Les soldats autour avaient les babines retroussées et les yeux plissés. Ils
s’esclaffaient. Et tandis qu’ils riaient, Salem pouvait voir leurs gencives. Le
Couronné d’Épines disait dans son Livre que les hommes dont on voyait les
gencives quand ils riaient étaient des hommes à qui on ne pouvait pas faire
confiance.
Salem n’était pas comme sa mère. Elle ne laisserait pas les choses se produire de cette façon. Tout cela l’écœurait. Son père répétait souvent que les cochons étaient juste bons à être égorgés. Alors elle se précipita sur Face de Porc et lui sauta dessus, plantant ses petites dents dans son épaule. Elle fut surprise de découvrir sous le doux et luxueux tissu une chair plus dure que ce à quoi elle s’était attendue. Mais au moins Face de Porc s’écartait de sa mère. Il avait l’air presque grotesque, à essayer de se débarrasser de la petite fille accrochée à son dos. Salem mordit jusqu’au sang. Elle se demanda un bref instant si le sang de porc avait
le même goût que le sien, puis le monde bascula. On la tirait par les cheveux,
et elle partit à la renverse, en arrachant des morceaux de peau avec ses dents.
Elle s’écrasa lourdement au sol, et fut légèrement sonnée. Un soldat dégaina
son épée, et le soleil s’y refléta un instant, comme un clin d’œil divin.
La bouche de Salem s’assécha, ne laissant qu’un arrière-goût métallique, sec, cuivré, au fond de sa gorge. Elle savait que les soldats n’auraient aucun mal à faire couler son sang sur le sol de sa propre maison, et n’auraient jamais à s’expliquer s’ils en venaient là. D’ailleurs, d’autres hommes avaient tiré leur épée. La tension était palpable, presque solide, lourde. Le point de bascule était atteint, tout pouvait dégénérer.
Le moment resta suspendu quelques temps, terrible. Comme la lame au-dessus de la tête de Salem.
Puis le voile pesant se déchira dans un rire. Face de Porc, encore à moitié surpris un instant avant par l’attaque de la petite fille, se tenait maintenant les côtes, secoué de spasmes incontrôlables, les yeux embués de larmes. Les soldats, déconcertés, hésitèrent. Et ce fut suffisant. Ils rengainèrent leur épée, comme si rien de tragique n’avait failli se produire.
Face de Porc soupira pour se calmer. Son visage était encore rouge, et deux grosses perles humides cascadaient sur ses joues. Il regarda Salem avec un demi-sourire, et le sang de l’enfant se glaça. Ses yeux. Ils étaient si froids, si durs. Les mêmes
qu’aurait eu un homme en épargnant un insecte.
Son sourire dévoilait ses dents, et Salem aurait juré qu’il s’agissait de crocs. Elle s’était trompée. Sous cette chair flasque et adipeuse ne se cachait pas un porc, mais une bête calme, vicieuse et terrible. Un loup. Face de Porc était un loup. Et c’était le genre d’homme le plus dangereux qui soit.