Réveil. Il ouvrit les yeux. Mary était là, enlacée contre lui. Sa tête contre son épaule, ses longues boucles blondes le chatouillant un peu. Il avait passé inconsciemment son bras autour d'elle pendant son sommeil, et sa main reposait maintenant sur son ventre qui se soulevait au rythme de sa respiration. Elle se blottie un peu plus contre lui, encore à moitié endormie. Il respira à pleins poumons l'odeur de Mary, comme si c'était la dernière fois qu'il pouvait la sentir et voulait s'en imprégner profondément pour ne jamais l'oublier. Il respirait son odeur, il la respirait elle.
Le bip du réveil sur la table de chevet à côté de lui se déclencha, toujours aussi désagréable à entendre, et il se retourna pour l'éteindre. Son bras resta suspendu en l'air. Quelque chose clochait. Le réveil indiquait 8h13. Pourquoi l'alarme se déclenchait-elle maintenant ? Et bon sang, Abby allait être en retard pour l'école ! Il lui sembla entendre Mary prononcer quelque chose, si bien qu'il rebascula de l'autre côté pour lui demander de répéter, et se figea net, tétanisé. Mary était réveillée elle aussi, bien réveillée, tournée vers lui, les yeux grands ouverts, et à la lueur de folie fiévreuse qui brillait dans ces yeux, il aurait préféré cent fois, mille fois, qu'elle dorme toujours. Et dans ses mains, oh mon dieu dans ses mains, une paire de ciseaux, des ciseaux aux longues lames argentées et brillantes, et aux bouts tellement acérés, oh mon dieu tellement pointus que si elle les lui plantait dans la chair ils s'enfonceraient comme un couteau dans du beurre, et il savait, oh oui il savait comme cela ferait mal si elle le faisait, il le savait parce qu'elle l'avait déjà fait, elle l'avait déjà fait avant, n'est-ce pas ?
Et il restait là, pétrifié, les membres lourds, le cœur battant à tout rompre, lui martelant la poitrine, comme s'il cherchait à s'échapper de ce corps encombrant et immobile et à s'enfuir, loin, très loin, fuir loin d'elle, de ses grands yeux bleus pleins de folie, et surtout, oh surtout loin de ces foutus ciseaux. Et le réveil qui semblait se foutre de la scène, sonnant inlassablement de son bip incessant et insupportable, imperturbable. Oh comme il aurait aimé abattre son poing dessus et ainsi lui fermer sa grande gueule, mais alors il serait sans défense face aux ciseaux argentés qui s'abattraient sur sa grande gueule pour la lui fermer. A jamais.
Et alors ce fut comme s'il avait reçu une décharge électrique dans tout le corps. Il fit volte-face, prêt à fuir du lit, prêt à la fuir elle, elle et ses ciseaux acérés. Une petite lueur d'espoir naquit en lui: il allait décamper, se barricader dans la chambre de sa fille, à l'abris, et attendre avec Abby l'arrivée des renforts, parce que voyez-vous la police arrive toujours, elle arrête les méchants et sauve les innocents, la police arrive toujours, elle arrive toujours à temps, non ? C'est comme ça que ça doit se passer. C'est comme ça que ça se passe toujours, non ? Tout finit toujours bien, n'est-ce pas ?
Mais il s'empêtra dans ses draps et chuta lourdement du lit, emportant avec lui une partie des couvertures. Et aussitôt Mary fut sur lui, et alors une épouvantable et douloureuse déchirure lui vrilla l'épaule, comme si un éclair glacial l'avait transpercé de part en part. Il ne put retenir un cri et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle retira les lames argentées de sa chair tandis qu'il se retournait sur le dos. Elle était assise à califourchon sur lui, ses longs cheveux blonds lui retombant sur la figure, collés par la sueur de l'excitation, et un grand sourire carnassier lui défigurait le visage. Et ses yeux, oh mon dieu, ses yeux n'était qu'un gouffre, un abîme de folie. Il ne put s'empêcher de hurler, hurler à s'en déchirer les cordes vocales, ses yeux fixés sur les siens comme s'ils étaient aimantés, et il allait lui aussi devenir fou si il ne parvenait pas à détourner le regard.
Alors Mary abattit ses ciseaux, encore et encore, le sourire aux lèvres et la folie aux yeux, tandis qu'une rose rouge empourprait peu à peu les draps auparavant blancs. Mary abattait ses ciseaux, et la rose rouge s'agrandissait, s'agrandissait, s'agrandissait...
2 commentaires:
Mon dieu; tes mots me donnent des frissons.
C'est magnifique.
Tu devrais vraiment songer à écrire un livre.
Une rose comme quand Daniel Pennac parle de "la tête du mec en fleur".
C'est beau et ça fait frissoner :)
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