mardi 26 juin 2012

Le chant du stryge


Le vent s’engouffra dans les grottes qui rongeaient la montagne, lugubre. Un carillon tinta, et le bruit évoqua des os s’entrechoquant. Mais dans l’obscurité et ce silence glacé, tout prenait un air sinistre.
Une rafale dispersa les cendres froides d’un ancien feu, et il neigea de gros flocons grisâtres. Lentement, ils recouvrirent les corps étendus sur le sol, comme un triste linceul. Les formes allongées, faméliques, étaient celles d’hommes et d’enfants, vêtus seulement de braies et de peaux de bêtes miteuses. Au village, situé à une demi-journée de marche des montagnes, on racontait de drôles de choses à leur sujet. Il se chuchotait qu’ils étaient les brigands qui détroussaient les honnêtes gens sur les chemins menant au village. Il se chuchotait qu’ils aimaient égorger les femmes avec leurs couteaux en os aiguisé. Il se chuchotait qu’ils dévoraient leurs victimes, se repaissaient de leur chair. Les villageois les appelaient les Ogres, et effrayaient leurs enfants en racontant de sordides histoires sur ces monstres.
Oui, il se disait beaucoup de choses sur ces êtres couchés par terre. Et certains avaient encore des morceaux de chair coincés entre leurs dents. La plupart portait des couteaux à la lame blanche, peut-être faite d’os, peut-être humain.
Malgré un teint cireux, leurs visages étaient paisibles. Ils semblaient simplement endormis. Mais aucun souffle ne soulevait leurs poitrines, et ils étaient aussi froids que la pierre sur laquelle ils reposaient.

A l’extérieur, les pins se courbaient sous les assauts du vent, tandis qu’une silhouette s’éloignait, ombre dans la nuit. Elle remonta un épais foulard sur ce qui lui servait de nez, et rabaissa son chapeau, plongeant entièrement son visage dans les ténèbres. Seuls ses yeux scintillaient, comme deux billes noires. Elle tapota un étrange fourreau à son côté, d’un air satisfait. Puis elle rabattit le pan de son long manteau par-dessus, et disparut dans la forêt.

On aurait pu croire que tout était silencieux, hormis le vent dans les pins et dans les grottes. Mais cela aurait été se tromper. Car si on tendait l’oreille, et qu’on écoutait attentivement, on entendrait le vent emporter des restes de mélodies, des bribes, de simples et faibles échos de notes de flûte.

***


3 commentaires:

D'Or Et De Laine a dit…

Plutôt contente que mon ennui vous plaise, monsieur le Loup!


Ah,
et,
il y a de très belles choses là dedans aussi.

Shirley a dit…

Est-ce de toi ?
Je me suis laissée portée par ces écrits, l'atmosphère est prenante et tellement détaillée, on s'y plonge facilement et rapidement. J'aime beaucoup apprécié lire, et l'univers chaotique qui s'y dégage me fait penser à "La route" de Cormac McCarthy. Bon je n'ai vu que le film, mais tu ne l'as pas vu ou lu, je pense qu'il devrait te plaire.

Au plaisir,

Pan.

Loup, y es-tu ? a dit…

C'est effectivement de moi, le début d'une nouvelle en cours d'écriture.
Merci infiniment (ainsi qu'à la Fée).
Comme toi, je n'ai vu de "La Route" que le film, et je n'y pensais pas du tout en écrivant cette scène, mais la référence est flatteuse, merci encore à toi Pan !