Le jour s'assombrit. Le ciel n'est pas encore noir, le ciel est toujours bleu, mais un bleu profond, celui du fond des mers, celui du fond des abysses. Là où la lumière se meurt, se désagrège, est dévoré petit à petit par les ténèbres oppressantes du ventre de la terre. Le ciel est bleu, mais noire est la fumée, la fumée macabre qui s'élève, et qui se confondra bientôt avec les cieux. Elle s'élève au-dessus des arbres, en fait elle s'élève des arbres, de la forêt elle-même. Elle vient du centre de la forêt, du secret hideux qu'elle abrite, l'usine de la mort, le tombeau des mes frères. Elle se dresse parmi les arbres, l'immense bâtisse de briques, de broc et de pierres, de fer et d'acier, de feu et de flammes, les flammes où se consument mes pairs. Les corps sont le combustibles des fournaises des fourneaux, ceux où on jette mes semblables par pelletés. On nous traque. On nous traque pour être calciné dans le brasier infernal de l'usine. Ils nous traquent. Eux. Les Charognards. Pas vraiment homme, pas vraiment animal, plus vraiment humain. Ce sont des ombres parmi les ombres, des charognards qui se nourrissent de mort et de désolation, au plumage de corbeau, tout vêtus de noir, de casques noirs, de vestes noires, de pantalons noirs, de bottes noirs, de coeurs noirs. Les Charognards, ils vivent dans l'usine, près des fours et des feux, aiment leur chaleur suffocante et destructrice, ils sont les sentinelles dans les miradors qui surveillent le troupeau prisonnier derrière le grillage et les barbelés autour du gigantesque bâtiment dont les cheminées crachent une fumée sombre, ils arpentent la forêt comme leur domaine, et parfois, souvent, ils en sortent pour nous chasser, eux les prédateurs et nous les proies.
Alors je me cache, je me terre, je m'enterre parfois pour leur échapper et ça me rappelle autrefois, je n'aime pas trop ça, être enterré, je l'ai été bien assez. Je préfère la vie. Je préférais la vie d'avant, la vie d'avant celle-ci, la vie d'avant la mort, évidemment, mais je n'ai plus le choix. J'ai appris à aimer cette vie là, à l'apprécier, malgré. J'ai appris à l'apprécier, assez pour lutter et la préserver, cette seconde vie, cette vie après la mort, cette vie qu'on essaie de nous arracher, de m'arracher moi. La mort, je sais ce que c'est, j'y suis passé, comme tant d'autres, comme tous mes pareils, je sais, je connais, et plus jamais. Alors pas le choix, j'ai du aimer cette vie qui n'en est pas une, plus vraiment, j'ai du m'y résoudre, faire avec. La chérir, et cela malgré. La faim, la peur des Charognards, eux les prédateurs et moi la proie, le froid intérieur pénétrant et éternel même si le soleil au-dessus est écrasant, la faim, l'absence de repos, encore la faim, la traque, moi le prédateur et vous les proies, le sang, l'absence de sommeil, la faim, toujours la faim, qui nous pousse à. C'est pour ça, ils ne comprennent pas, personne ne comprend, si ce n'est nous, nous qui sommes revenus, de la mort à la vie, et les autres, les Charognards, vous, personne ne comprend, tout le monde s'arrête à ça, le sang, nos ongles dans la peau, la chaire sous nos dent, le sang, la mort, la vôtre, personne ne comprend, personne ne voit, que la faim est plus forte, plus forte que nous, que notre volonté, il le faut, se nourrir, c'est tellement... puissant, incontrôlable, vital, nécessaire. Et irrépressible. Mais à contre-coeur, à contre-dents. Et personne ne le voit, personne ne le comprend, tous sont aveugles et sourds, et les Charognards nous traquent, nous pourchassent.
Alors je me cache, je me terre, dans mon trou à rat, une simple cavité entre deux rochers, le corps contorsionné pour y loger tout entier, dans son obscurité. J'attends. J'attends la nuit. La nuit nous rend plus fort. La lune, les étoiles. Alors je me cache, je me terre. J'attends.
Le jour s'assombrit...
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1 commentaire:
J'ai voyagé... Vraiment, je me suis faufilée entre chaque lettre de ce texte.
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