Le crépuscule étendait son voile sur le monde. Une petite fille scrutait les hautes montagnes au loin, plongée dans la pénombre, à la lisière du village. Sa mère l'aurait sans doute grondée et punie si elle avait su où sa fille se trouvait, après ce qui était arrivé à Hod, il y avait seulement un mois. Pour les adultes, cela semblait ne pas faire si longtemps, et ils interdisaient encore à leurs enfants d'aller jouer seuls aux abords du village. Regardez ce qui est arrivé à ce pauvre Hod, disaient-ils. Une tragédie. Pauvre Hod, disait sa mère. Elle ne savait pas. La veille du drame, après l'école, Hod l'avait entraîné dans la forêt de sapins, à l'est du village, et ils s'y étaient promenés, main dans la main, des éclats de rires enfantins cassant le lourd silence pesant sur la forêt. Ça lui avait donné un peu de vie, et la forêt avait aimé ça. Les arbres s'en souvenaient. C'était si beau.
Puis ils avaient atteint une clairière, celle du lac. Hod s'était soudain tu, se contentant de faire quelques ricochets maladroits sur l'eau, évitant de croiser le regard de la petite fille, comme embarrassé. Alors elle lui avait saisi la main, et l'avait forcé à la regarder. Il lui avait avoué qu'il avait un cadeau pour elle. Il avait rougi en disant cela. Il avait sorti de sa poche un magnifique collier d'ambre que Khtor, son grand frère, avait rapporté des royaumes unis du continent, loin au sud. Khtor le lui avait donné, lui disant qu'il saurait certainement en faire bon usage, appuyant ses dires d'un clin d'oeil. Khtor connaissait bien son petit frère et l'aimait profondément, Hod de son côté, l'adorait, tout simplement.
Hod avait accroché le collier au cou de la petite fille, et un instant, leurs corps avaient été si proches. Quand Hod s'était écarté, cela avait été comme si il avait emmené une part d'elle avec lui, un élément vital. Alors, elle avait compris. Aussi jeune était-elle, elle avait compris. Qu'elle ne tolèrerait jamais qu'un autre corps que le sien puisse être aussi proche d'elle, et qu'elle voulait passer le reste de sa vie ainsi, l'un contre l'autre. C'était si pur, c'était si beau.
Hod lui avait dit que le collier lui allait bien, mais elle l'avait à peine entendu. Tout était gourd autour de la petite fille. Seul Hod comptait désormais. Il avait souri, et par Réhann, elle aurait pu mourir juste pour un autre de ses sourires. Sans se rendre compte qu'elle souriait elle aussi, et que le petit garçon pensait exactement la même chose de son côté.
De la maladresse qui caractérisait les enfants, celle qui les rendait magnifiquement gracieux, elle s'était avancée vers lui. Et ensemble, ils avaient joint leurs lèvres. Alors, dans une explosion intérieure, tout était redevenu net pour la petite fille, et même plus, comme si elle avait soudainement eu un sens plus aigu des choses qui les entouraient. Le ciel si clair, si bleu, comme les yeux de Hod, le lac calme et semblant imperturbable, les galets qui crissaient sous leurs pieds, le vent frais qui faisait bruisser les sapins. Le goût sucré et humide des lèves de Hod. La petite fille avait fermé les yeux, heureuse.
Les arbres s'en souvenaient, et s'en souviendraient à jamais. Ça avait été si pur. Ça avait été si beau.
Ils étaient restés un moment après, assis en silence, à regarder le lac et les nuages s'y refléter, semblants glisser à la fois sur et sous la surface de l'eau sans même la perturber, comme d'étranges créatures marines.
Quand était venu le moment de rentrer, ils s'étaient quitté en se promettant de se retrouver ici le lendemain. La petite fille ne revit jamais Hod vivant.
Et maintenant, elle attendait Khtor, de retour des hautes montagnes du Nord. Hilmyre était déjà rentré, lui. Il était passé à côté d'elle sans la voir, semblant bien plus vieux qu'il ne l'était à son départ ce matin. Il marmonnait tout seul, secouant la tête, préoccupé. Dans la semi-obscurité, on aurait dit que la peau de rêne qu'il portait ne faisait qu'un avec le reste de son corps. Il lui avait paru un peu fou, et lui avait fait peur. Elle s'était cachée derrière un empilement de bûches, et avait retenu sa respiration le temps qu'il passe. Mais à dire vrai, Hilmyre était si perturbé qu'une étoile farceuse aurait pu s'écraser juste à ses pieds qu'il ne l'aurait probablement pas remarqué. C'était inquiétant.
Khtor ne faisait toujours pas son apparition, alors la petite fille décida de s'assoir, son dos s'appuyant contre le tas de bois. Ce n'était pas très agréable, mais ça la tiendrait éveillée. Alors la petite fille attendit, elle attendit longtemps. Ses yeux papillonnèrent et commencèrent à se fermer, prête à plonger dans le lac cotonneux des songes. Sa tête bascula sur sa poitrine, et sa respiration se fit plus lente et profonde. Le doux courant des rêves la berça jusqu'à ce moment près du lac dans la forêt de l'est, la berça jusqu'à Hod, car il n'y avait plus que dans ses rêves qu'elle pouvait le voir. Il n'y avait plus que dans ses rêves qu'elle pouvait prendre sa main dans la sienne, et poser ses lèvres sur celles du garçon. Il n'y avait plus que dans ses rêves qu'elle pouvait être avec lui. Dans ses rêves, et dans la mort. Dans tous ces précédents songes, Hod lui disait de ne pas mourir, car son heure n'était pas venue. Il lui disait qu'il l'attendrait. Il lui disait de continuer de rêver. Tous ses rêves depuis un mois étaient ainsi.
Mais celui de ce soir fut différent. Quand elle ferma les yeux pendant qu'elle embrassait Hod et que Hod l'embrassait, quelque chose changea. L'air de la clairière, normalement si pure, fut happé, et une épouvantable odeur de chair putréfiée, de décomposition, cette chaude et fétide odeur à suffoquer et vomir s'installa. La petite fille rouvrit les yeux. Hod était trop près d'elle pour qu'elle le distingue correctement, mais elle vit les sapins autour d'eux faner et se flétrir, tandis que le ciel était ravagé par le feu et le sang, et que les nuages d'un noir d'encre se déchiraient pour déverser leurs larmes empoisonnées dans le lac souillé où flottait les cadavres de poissons, d'oiseaux, et d'êtres humains. La petite fille bondit en arrière. Alors elle put voir Hod distinctement. Il la regardait, les bras ballants le long de son corps, la tête légèrement sur le côté, un sourire mauvais aux lèvres. Il la regardait couvert de sang, sa gorge et son ventre déchiquetés. Il la regardait de ses yeux vitreux, froids et morts. Il ouvrit la bouche, et des vers blancs en sortirent. Il parla la langue des défunts, qu'elle ne comprenait que dans ses rêves. Il appela la petite fille par son prénom. Freiyjaa. Et maudit trois fois son nom. Il lui dit qu'il était mort par sa faute, et qu'ainsi elle aussi mourrait bientôt. Mais alors, même dans la mort, elle ne le retrouverait pas, car il ne voulait plus d'elle. Les morts lui avaient murmurés la vérité, qu'il était mort par sa faute, et il ne voulait plus d'elle. Elle passerait l'éternité enfermée dans une petite cage, dans la pénombre, affreusement seule. Car sa mort était le fait de Freiyjaa, trois fois maudite.
La petite fille pleura, balbutia, se tenant d'une main la poitrine, son coeur semblant violemment comprimé par une poigne impitoyable, l'autre main tendue vers Hod. Le petit garçon mort la repoussa, et elle trébucha, s'écorchant le dos sur les galets. Alors Hod s'abattit sur elle.
Khtor ne faisait toujours pas son apparition, alors la petite fille décida de s'assoir, son dos s'appuyant contre le tas de bois. Ce n'était pas très agréable, mais ça la tiendrait éveillée. Alors la petite fille attendit, elle attendit longtemps. Ses yeux papillonnèrent et commencèrent à se fermer, prête à plonger dans le lac cotonneux des songes. Sa tête bascula sur sa poitrine, et sa respiration se fit plus lente et profonde. Le doux courant des rêves la berça jusqu'à ce moment près du lac dans la forêt de l'est, la berça jusqu'à Hod, car il n'y avait plus que dans ses rêves qu'elle pouvait le voir. Il n'y avait plus que dans ses rêves qu'elle pouvait prendre sa main dans la sienne, et poser ses lèvres sur celles du garçon. Il n'y avait plus que dans ses rêves qu'elle pouvait être avec lui. Dans ses rêves, et dans la mort. Dans tous ces précédents songes, Hod lui disait de ne pas mourir, car son heure n'était pas venue. Il lui disait qu'il l'attendrait. Il lui disait de continuer de rêver. Tous ses rêves depuis un mois étaient ainsi.
Mais celui de ce soir fut différent. Quand elle ferma les yeux pendant qu'elle embrassait Hod et que Hod l'embrassait, quelque chose changea. L'air de la clairière, normalement si pure, fut happé, et une épouvantable odeur de chair putréfiée, de décomposition, cette chaude et fétide odeur à suffoquer et vomir s'installa. La petite fille rouvrit les yeux. Hod était trop près d'elle pour qu'elle le distingue correctement, mais elle vit les sapins autour d'eux faner et se flétrir, tandis que le ciel était ravagé par le feu et le sang, et que les nuages d'un noir d'encre se déchiraient pour déverser leurs larmes empoisonnées dans le lac souillé où flottait les cadavres de poissons, d'oiseaux, et d'êtres humains. La petite fille bondit en arrière. Alors elle put voir Hod distinctement. Il la regardait, les bras ballants le long de son corps, la tête légèrement sur le côté, un sourire mauvais aux lèvres. Il la regardait couvert de sang, sa gorge et son ventre déchiquetés. Il la regardait de ses yeux vitreux, froids et morts. Il ouvrit la bouche, et des vers blancs en sortirent. Il parla la langue des défunts, qu'elle ne comprenait que dans ses rêves. Il appela la petite fille par son prénom. Freiyjaa. Et maudit trois fois son nom. Il lui dit qu'il était mort par sa faute, et qu'ainsi elle aussi mourrait bientôt. Mais alors, même dans la mort, elle ne le retrouverait pas, car il ne voulait plus d'elle. Les morts lui avaient murmurés la vérité, qu'il était mort par sa faute, et il ne voulait plus d'elle. Elle passerait l'éternité enfermée dans une petite cage, dans la pénombre, affreusement seule. Car sa mort était le fait de Freiyjaa, trois fois maudite.
La petite fille pleura, balbutia, se tenant d'une main la poitrine, son coeur semblant violemment comprimé par une poigne impitoyable, l'autre main tendue vers Hod. Le petit garçon mort la repoussa, et elle trébucha, s'écorchant le dos sur les galets. Alors Hod s'abattit sur elle.
Freiyjaa se réveilla en sursaut, le dos meurtri, couverte de sueur, haletante. Son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine, comme un fauve en cage n'aspirant qu'à la liberté. Elle entendit des cailloux crisser sous le poids de quelqu'un marchant à vive allure, et un instant, elle eu peur que ce fusse Hod revenant du monde des morts. Après tout, il l'avait trois fois maudite.
Puisant au fond d'elle un peu de courage, elle risqua un oeil par-dessus l'amas de bûches. Au début, elle ne distingua qu'un pelage d'ours, et elle parvint à étouffer à hoquet de peur. Elle se redressa un peu plus, pour mieux le voir, et elle constata avec soulagement que ce n'était que Khtor, qui portait son horrible manteau. Le voir pourfendant l'obscurité ainsi lui rappela cet effroyable jour, il y avait de cela un mois. Ce jour où elle et Hod auraient du se retrouver près du lac, pour s'embrasser à nouveau.
Le lendemain de leur premier baiser, Freiyjaa avait été retenue longtemps à la maison, car sa mère étant malade, elle avait du s'occuper des tâches ménagères seule. Elle avait eu le plus grand mal à rester là et à s'appliquer sur ce qu'elle faisait plutôt que de se précipiter dehors pour rejoindre Hod. Une éternité s'était écoulée selon elle avant qu'elle soit libérée. Elle avait alors couru, aussi vite qu'elle le pouvait. Comme les lèvres de Hod lui manquaient. Et ses yeux. Et son sourire. Et son odeur. Oh oui, elle avait couru aussi vite qu'elle le pouvait pour rejoindre le petit garçon.
Elle avait été stoppée net à la lisière est du village par un puissant rugissement bestial, tout de suite suivi d'un cri déchirant venant de la forêt. Un cri déchirant de petit garçon. Un instant, Freiyjaa avait eu l'impression que les sapins s'étaient assombris puis recroquevillés sur eux-mêmes, comme accablés de chagrin. Tétanisée, elle n'avait pu faire un pas, les yeux exorbités par la peur.
Dans tout le village avait résonné le vacarme de la forêt, et Khtor s'y était précipité, courant à en perdre haleine, sa hache à simple tranchant dans sa main. D'autres l'avaient suivi, bien que distancés par le jeune homme. Il avait été le premier à pénétrer dans la forêt. Un autre terrifiant rugissement, qui ne pouvait provenir que d'une énorme bête, avait encore retenti, mais cette fois-ci il avait été arrêté subitement par un coup de hache, dans un bruit spongieux d'éclatement de fruit trop mûr et d'éclaboussure sanglante. Le son de l'acier tranchant l'air, accompagné du même bruit dégoûtant, s'était abattu plusieurs fois encore, avant que ne se lève un lourd silence, recouvrant la forêt comme un épais brouillard sonore.
Enfin, après un très long moment, Khtor était sorti de la forêt, semblant pourfendre leurs ténèbres comme il pourfendait actuellement celles de la nuit. Son visage fermé avait contrasté avec les traînées rouges qui le maculaient, comme s'il ne s'était pas rendu compte qu'il était recouvert de sang. Et dans ses bras gisait le corps inanimé d'un Hod lacéré. Ses membres ballotaient dans le vide, comme un sanglant pantin sans ficelles de vie.
Freiyjaa s'était sentie partir, comme aspirée vers le haut, faible et sur le point de vomir, sa vision s'obscurcissant un instant. Elle avait pourtant réussi à se retenir, et à ne pas s'évanouir. Elle était tombée à genoux, et s'était mise à pleurer, sans même s'en apercevoir, et ça avait été comme si chaque larme emportait avec elle un peu de son énergie. Khtor avait ramené la dépouille de son petit frère au village, et Freiyjaa n'était pas parvenue à se redresser pour le suivre, comme si elle avait été profondément ancrée là.
Il avait fallu cinq hommes pour traîner l'ours mort hors de la forêt, et Khtor s'en était fait un manteau. Pour montrer à ses ennemis qu'il se vêtait de la peau de ceux qui s'en prenaient aux siens. Et pour se rappeler à lui-même qu'une fois, une fois seulement, mais une terrible fois, qu'une fois il avait échoué.
Peu de temps après, on avait brûlé le cadavre de Hod, et tout le village avait assité aux funérailles. Beaucoup avaient pleuré, imaginant leur enfant à la place du petit garçon. Freiyjaa, elle, n'avait pas versé une larme. Elle n'en avait plus la force. Elle était lasse de tout. Comme si plus rien n'avait d'importance, comme si plus rien ne méritait d'être vécu sans Hod.
Et petit à petit, la vie avait repris son cours. Légèrement différent pour certains, mais identique pour la plupart. Oui, la vie avait fini par reprendre son cours, comme il en va toujours avec la vie.
Puisant au fond d'elle un peu de courage, elle risqua un oeil par-dessus l'amas de bûches. Au début, elle ne distingua qu'un pelage d'ours, et elle parvint à étouffer à hoquet de peur. Elle se redressa un peu plus, pour mieux le voir, et elle constata avec soulagement que ce n'était que Khtor, qui portait son horrible manteau. Le voir pourfendant l'obscurité ainsi lui rappela cet effroyable jour, il y avait de cela un mois. Ce jour où elle et Hod auraient du se retrouver près du lac, pour s'embrasser à nouveau.
Le lendemain de leur premier baiser, Freiyjaa avait été retenue longtemps à la maison, car sa mère étant malade, elle avait du s'occuper des tâches ménagères seule. Elle avait eu le plus grand mal à rester là et à s'appliquer sur ce qu'elle faisait plutôt que de se précipiter dehors pour rejoindre Hod. Une éternité s'était écoulée selon elle avant qu'elle soit libérée. Elle avait alors couru, aussi vite qu'elle le pouvait. Comme les lèvres de Hod lui manquaient. Et ses yeux. Et son sourire. Et son odeur. Oh oui, elle avait couru aussi vite qu'elle le pouvait pour rejoindre le petit garçon.
Elle avait été stoppée net à la lisière est du village par un puissant rugissement bestial, tout de suite suivi d'un cri déchirant venant de la forêt. Un cri déchirant de petit garçon. Un instant, Freiyjaa avait eu l'impression que les sapins s'étaient assombris puis recroquevillés sur eux-mêmes, comme accablés de chagrin. Tétanisée, elle n'avait pu faire un pas, les yeux exorbités par la peur.
Dans tout le village avait résonné le vacarme de la forêt, et Khtor s'y était précipité, courant à en perdre haleine, sa hache à simple tranchant dans sa main. D'autres l'avaient suivi, bien que distancés par le jeune homme. Il avait été le premier à pénétrer dans la forêt. Un autre terrifiant rugissement, qui ne pouvait provenir que d'une énorme bête, avait encore retenti, mais cette fois-ci il avait été arrêté subitement par un coup de hache, dans un bruit spongieux d'éclatement de fruit trop mûr et d'éclaboussure sanglante. Le son de l'acier tranchant l'air, accompagné du même bruit dégoûtant, s'était abattu plusieurs fois encore, avant que ne se lève un lourd silence, recouvrant la forêt comme un épais brouillard sonore.
Enfin, après un très long moment, Khtor était sorti de la forêt, semblant pourfendre leurs ténèbres comme il pourfendait actuellement celles de la nuit. Son visage fermé avait contrasté avec les traînées rouges qui le maculaient, comme s'il ne s'était pas rendu compte qu'il était recouvert de sang. Et dans ses bras gisait le corps inanimé d'un Hod lacéré. Ses membres ballotaient dans le vide, comme un sanglant pantin sans ficelles de vie.
Freiyjaa s'était sentie partir, comme aspirée vers le haut, faible et sur le point de vomir, sa vision s'obscurcissant un instant. Elle avait pourtant réussi à se retenir, et à ne pas s'évanouir. Elle était tombée à genoux, et s'était mise à pleurer, sans même s'en apercevoir, et ça avait été comme si chaque larme emportait avec elle un peu de son énergie. Khtor avait ramené la dépouille de son petit frère au village, et Freiyjaa n'était pas parvenue à se redresser pour le suivre, comme si elle avait été profondément ancrée là.
Il avait fallu cinq hommes pour traîner l'ours mort hors de la forêt, et Khtor s'en était fait un manteau. Pour montrer à ses ennemis qu'il se vêtait de la peau de ceux qui s'en prenaient aux siens. Et pour se rappeler à lui-même qu'une fois, une fois seulement, mais une terrible fois, qu'une fois il avait échoué.
Peu de temps après, on avait brûlé le cadavre de Hod, et tout le village avait assité aux funérailles. Beaucoup avaient pleuré, imaginant leur enfant à la place du petit garçon. Freiyjaa, elle, n'avait pas versé une larme. Elle n'en avait plus la force. Elle était lasse de tout. Comme si plus rien n'avait d'importance, comme si plus rien ne méritait d'être vécu sans Hod.
Et petit à petit, la vie avait repris son cours. Légèrement différent pour certains, mais identique pour la plupart. Oui, la vie avait fini par reprendre son cours, comme il en va toujours avec la vie.
La fugace silhouette de Khtor disparu à grand pas, tandis que Freiyjaa avait du mal à sortir de ses tristes souvenirs, lestée de lourdes gouttes de songes ne voulant sécher et pesant sur son corps et sa mémoire. Elle s'ébroua, comme pour dissiper ces traces de passé, puis parti à la poursuite de Khtor, simple ombre dans la nuit, faiblement éclairé par la lune et les étoiles. Elle le héla plusieurs fois, mais celui-ci ne s'arrêta pas, ne réagissant même pas à ses appels. Il continua de marcher d'un pas vif, jusqu'à la plage de galets faisant face à l'océan de l'ouest. On l'appelait le Grand Ailleurs, car ses mers étaient infinies.
Il se posa finalement sur un rocher, le regard perdu vers l'horizon. Freiyjaa le rejoignit, puis réfréna de justesse une pulsion. Khtor sembla le remarquer du coin de l'oeil, et il ôta son horrible manteau de peau d'ours. Freiyjaa alla se blottir contre lui. Pendant un moment, personne ne parla, la petite fille, le regard levé, contemplant les cheveux blonds du jeune homme animés par la brise marine. Elle sourit quand elle remarqua quelques rares flocons qui n'avaient pas encore fondus dans sa fine barbe, vestiges de sa dure ascension des hautes montagnes du Nord.
Ce fut le regard fixant toujours le lointain que Khtor rompit le silence, d'une voix sèche et décousue. Il lui dit que Réhann n'était plus. Que c'était fini. Que tout était fini. Que le Mahamut avait perdu la foi. Que son père l'avait perdu aussi. Que Hilmyre attendrait la fin, sans réagir. Qu'il disait que c'était inéluctable. Que lui, Khtor, prince et prétendant au trône des Vihic-kins, ne pouvait s'y résoudre. Qu'il fallait faire quelque chose pour sauver son peuple. Quelque chose, n'importe quoi. Mais qu'il ne savait pas quoi, qu'il se sentait perdu.
Khtor se tu et baissa la tête, se sentant sur le point de rupture, comme s'il était écartelé et prêt à se déchirer. Ses yeux rencontrèrent ceux de Freiyjaa, et y resta accroché, muet de stupéfaction. Son regard était bien trop grave pour une petite fille de son âge. Elle murmura. Que fait un marin quand il se sent perdu en pleine mer ?
Khtor fronça les sourcils, perplexe, puis une étincelle jaillit dans ses yeux. Un fin sourire se dessina dans sa barbe blonde, et hocha solennellement la tête. Il leva les yeux vers le ciel, contemplant la nuit étoilée. Il attendit longtemps comme cela. L'immobilité des cieux semblait l'apaiser un peu.
Et soudain, une étoile filante traversa le firmament. Freiyjaa en avait déjà vu une par le passé, et elle s'était étonnée qu'un astre s'embrasant en déchirant le ciel ne fasse pas tonner la voute céleste et trembler la terre. Celle-ci ne fit pas plus de bruit, même quand elle sembla plonger dans le Grand Ailleurs et s'y noyer.
Khtor hocha à nouveau la tête, en direction de l'océan cette fois. Sa décision était prise. Il se leva, et se tourna vers Freiyjaa. Il lui prit délicatement la tête entre ses mains, et lui embrassa le front. Il n'était plus désemparé. Il lui avait dit qu'il se sentait perdu, et elle avait murmuré.
Que fait un marin quand il se sent perdu en pleine mer ?
Il consulte les étoiles. Les astres sont là pour nous guider.
Khtor la quitta, laissant seule une petite fille sur la plage de galets noirs dans la nuit.
Il se posa finalement sur un rocher, le regard perdu vers l'horizon. Freiyjaa le rejoignit, puis réfréna de justesse une pulsion. Khtor sembla le remarquer du coin de l'oeil, et il ôta son horrible manteau de peau d'ours. Freiyjaa alla se blottir contre lui. Pendant un moment, personne ne parla, la petite fille, le regard levé, contemplant les cheveux blonds du jeune homme animés par la brise marine. Elle sourit quand elle remarqua quelques rares flocons qui n'avaient pas encore fondus dans sa fine barbe, vestiges de sa dure ascension des hautes montagnes du Nord.
Ce fut le regard fixant toujours le lointain que Khtor rompit le silence, d'une voix sèche et décousue. Il lui dit que Réhann n'était plus. Que c'était fini. Que tout était fini. Que le Mahamut avait perdu la foi. Que son père l'avait perdu aussi. Que Hilmyre attendrait la fin, sans réagir. Qu'il disait que c'était inéluctable. Que lui, Khtor, prince et prétendant au trône des Vihic-kins, ne pouvait s'y résoudre. Qu'il fallait faire quelque chose pour sauver son peuple. Quelque chose, n'importe quoi. Mais qu'il ne savait pas quoi, qu'il se sentait perdu.
Khtor se tu et baissa la tête, se sentant sur le point de rupture, comme s'il était écartelé et prêt à se déchirer. Ses yeux rencontrèrent ceux de Freiyjaa, et y resta accroché, muet de stupéfaction. Son regard était bien trop grave pour une petite fille de son âge. Elle murmura. Que fait un marin quand il se sent perdu en pleine mer ?
Khtor fronça les sourcils, perplexe, puis une étincelle jaillit dans ses yeux. Un fin sourire se dessina dans sa barbe blonde, et hocha solennellement la tête. Il leva les yeux vers le ciel, contemplant la nuit étoilée. Il attendit longtemps comme cela. L'immobilité des cieux semblait l'apaiser un peu.
Et soudain, une étoile filante traversa le firmament. Freiyjaa en avait déjà vu une par le passé, et elle s'était étonnée qu'un astre s'embrasant en déchirant le ciel ne fasse pas tonner la voute céleste et trembler la terre. Celle-ci ne fit pas plus de bruit, même quand elle sembla plonger dans le Grand Ailleurs et s'y noyer.
Khtor hocha à nouveau la tête, en direction de l'océan cette fois. Sa décision était prise. Il se leva, et se tourna vers Freiyjaa. Il lui prit délicatement la tête entre ses mains, et lui embrassa le front. Il n'était plus désemparé. Il lui avait dit qu'il se sentait perdu, et elle avait murmuré.
Que fait un marin quand il se sent perdu en pleine mer ?
Il consulte les étoiles. Les astres sont là pour nous guider.
Khtor la quitta, laissant seule une petite fille sur la plage de galets noirs dans la nuit.
6 commentaires:
Merci beaucoup!!
(je passe lire ici, demain.)
J'aime mon Zazon! Comme toujours ...
Comme promis...
J'aime beaucoup. Dommage que quelques (rares) fautes d'orthographe m'aient sauté aux yeux.
Tes textes sont magnifiques.
Y a-t-il une suite ? La publieras-tu sur ce blog ?
Merci beaucoup pour ces compliments. Cela fait extrêmement plaisir.
Je suis sincèrement désolé pour les fautes, je sais que ça gâche un peu la lecture, et je dois avouer que ce texte a été publié sur ce blog sans relecture au préalable (et même dans ces cas-là, certaines peuvent très bien m'échapper).
Une suite est effectivement prévue mais n'est pas encore écrite, même si je sais grosso modo ce qu'il va s'y passer.
J'espère m'y mettre pendant les vacances.
Je ne sais pas combien de temps cela me prendra, ni si la qualité sera au rendez-vous, mes études me prenant pas mal de mon temps, cela fait un moment que je n'ai pas écrit.
Et oui, elle sera lisible ici.
En tout cas, je suis ravi que ces textes t'aient plu. C'est toujours un plaisir de compter de nouveaux lecteurs. Merci encore.
je comprends, ce n'est pas facile de tout gérer en même temps et de trouver le temps pour ses passions.
j'espère te lire très bientôt en tout cas.
si ce n'est pas trop indiscret... quelles études fais-tu ?
J'ai fait 2 ans de fac en Lettres Modernes, et je suis actuellement en première année dans une école de cinéma et audiovisuel.
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