mercredi 23 décembre 2009

L'étrange Noël de Mr. Zomby

(Les Gremlins)

Joyeuses fêtes !

Tout plein d'amuuur, de sourires, de rires, de soleils, d'arcs-en-ciel, de chantilly et de Nutella dans vos p'tits coeurs

Je vous aime




Découvrez la playlist Nouvelle playlist 5 avec Renaud

mardi 22 décembre 2009

Ecrire pour exister

Papa crie. Encore. Et maman pleure, comme à chaque fois. Ça me fait peur, tout ce bruit, toute cette rage, toutes ces larmes. Alors je me réfugie dans ma chambre. Mais les murs n'empêchent pas, j'entends tout, c'est comme si je les voyais, et c'est encore pire.
J'allume mon petit ordinateur. Bienvenue, qu'il me dit. C'est le premier mot qu'on m'adresse aujourd'hui, et bizarrement, ça me touche. Je lui en suis reconnaissant.
Une page blanche, cadavérique, s'affiche devant moi. Il n'y a bien que la page qui est blanche, parce que dans ma tête, c'est déjà plein de couleurs, de mouvements. De vie.
Les cris du salon s'atténuent, puis s'estompent. Je le sais bien qu'en fait, ça continue là-bas, que ça redouble même de violence, mais je ne les entends plus. D'ailleurs, il n'y a plus de salon, plus de chambre, plus de maison, plus de parents. Juste mes doigts qui pianotent frénétiquement sur le clavier, sans même m'en rendre vraiment compte, et tout ce monde, tout cet univers enfermé dans ma tête qui se libère, qui explose. Je suis entouré par le monde créé.
Et cette sensation qui ne me quitte pas, cette petite boule chaude au creux du ventre et qui gagne de l'ampleur, c'est déjà un brasier, oh mon dieu je prends feu de l'intérieur, je suis un incendie abandonné, un véritable petit incendie abandonné, un incendie de plaisir.
Si maman entrait maintenant, je crois que je lui ferai peur, à taper vite, encore plus vite, au bord de la folie, ravagé par ce feu interne, les traits déformés par la douceur. Oui, je crois que je lui ferai peur.
Mais maman n'entrera pas. Maman n'entrera plus. Aussi vite qu'elle est arrivée, la transe a disparue. Maman s'est tue. C'est papa qui pleure désormais, qui gémit, oh pardon je suis tellement désolé chérie, je ne voulais pas faire ça, je suis désolé oh pardon.
Vite, retrouver l'ordinateur, retrouver mon monde, y rester enfermé, pour toujours, et oublier. Et oublier.



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samedi 5 décembre 2009

IX / IX

Annexe. Texte de Mademoiselle Chat.

Hôpital des Lumières Mortes. Chambre 113. Elle. Claire Coment. Aide soignante. Lui. Thomas Dariau. Patient. Je me demande parfois ce qu'on voit de moi.

La réponse est simple : rien. Je suis aide-soignante. Et je ne vois rien. Rien d'autre qu'un esprit et un corps meurtri. Rien d'autre qu'un mur infranchissable, gris, noir. Et des barreaux. Des barreaux dans ses yeux. Une cage, hors du monde. Un monstre humain. Je me heurte à un regard embrumé. Brouillard, larmes, souvenirs. Brumes de vie. Les flots déferlent dans ses yeux et m'emportent. Je ne comprends pas. Il ne me demande rien. Ne reproche rien. Seulement contre lui-même. Il s'attaque et se mord. En silence. Sa détresse se mêle à la mienne. Celle de l'incapacité. De l'aide impossible. Des images de scènes inconnues repassent dans ses yeux. Un film d'horreur personnel. Je voudrais lui crier dessus. De partager. De briser le silence. D'expliquer. De hurler, aussi. Ses hurlements ne restent que silence et peur. Sa peur tourbillonne dans la pièce et vous étouffe. Comme on étouffe un cri de douleur. La sienne vous serre la gorge, les poumons et le coeur. Toutes les théories du monde s'arrêtent au premier pas dans cette chambre. Du médical au métaphysique. De la compréhension au respect même. Plus de repères quotidiens, ni les traits physiques, ni le regard, ni la soif de vivre des souffrants qui appelle à l'aide. Il n'y a rien ici qui appelle ou redonnerai espoir. Il n'y a qu'un mur de silence et de honte qui vous plaque au sol et vous claque au visage. Un mur, une barrière, une frontière. L'indicible.

Dédicace: A Hélène, pour son soutien et sa précieuse amitié, inconditionnels évidemment.

VIII / IX


Carte chance: Allez en prison. Avancez tout droit en prison. Ne passez pas par la case Départ. Ne recevez pas 20 000 euros.

Je rentre dans la cellule. Et partout sur les murs, en grandes lettres de sang, tueur tueur d'enfants tueur de père tueur de mère tueur d'amis tueur de famille tueur de bonheur tueur de vie, partout sur les murs ces mots accusateurs. Les geôliers ne semblent rien remarquer, mais moi je vois. La porte se referme derrière moi, me laissant seul avec ces murs, avec ces mots qui me tombent dessus et je courbe l'échine et ploie sous le poids, le poids des mots. Ça me trotte dans la tête, je n'y échappe pas, même quand je ferme les yeux je les vois, et ça me trotte dans la tête, ça me murmure tueur tueur tueur tueur...

A suivre...

VII / IX


Mes doigts caressent le bracelet qui enserre mon bras gauche, c'est presque devenu automatique, ils le caressent sans même que j'y pense. Le métal est froid. Il pourrait être brulant, je ne verrais pas la différence, pour moi le froid et le chaud c'est pareil maintenant, c'est rien, ça n'a plus d'importance. J'ai la tête ailleurs. Je reste là prostré dans le lit, sans bouger si ce n'est mes doigts,et laisse le monde tourner autour de moi comme si de rien n'était, et pourtant ça remue à l'intérieur. Mon esprit fait des siennes, fait des vagues, divague, vacille, défaille et déraille, les flash-back s'affolent, se croisent, s'entrechoquent, s'entremêlent, s'unissent, se multiplie pour repartir de plus belle. Les scènes repassent en boucles comme des coups de poignards. Si on retournait ma peau, on verrait de profondes entailles, des lacérations. Il serait peut-être bon de tout arracher, comme cette page qu'on déchire plutôt que de la tourner, parce qu'on ne peut tout simplement pas, la tourner, on en est incapable, on arrive pas à passer le cap, à oublier, les démons nous hantent toujours, alors on arrache on déchire, on croit que ça aidera, la violence plutôt que la douleur, mais on se trompe oh combien on se trompe, parce que notre colère prend vie de notre souffrance, la peine est encore là, plus forte devant notre incapacité vaine à la faire disparaitre, et les démons nous hante toujours. On est plus qu'une épave habitée par nos propres fantômes.
Mes doigts caressent le bracelet qui enserre mon bras gauche, il est trop serré il mord ma chair, mais ce n'est pas bien grave, écorché comme je suis. Ils passent sur la courte chaine puis sur le second anneau métallique lové autour de la rambarde du lit. Deux bracelets de fer reliés, qui unissent, encore mieux que des alliances, et c'est à une rambarde de lit que je suis accroché, pas la main de Lise, oh non, mais à une rambarde de lit. Ils doivent avoir peur que je m'échappe. Pas les médecins, eux ils savent. Mais les deux hommes qui sont venus, les policiers. Il faisait sombre, et le bleu de leur uniforme devenait noir, une tâche d'encre d'obscurité les recouvrait, tout vêtus de noir, de képis noirs, de chemises noires, de pantalons noirs, de pistolets noirs, de bottes noirs, de yeux et de cœurs noirs. Ils m'ont attaché au lit, pour que je ne m'échappe pas. Mais je n'ai pas envie de fuir. Je n'ai envie de rien. Ils m'ont regardé, droit dans les yeux, un rictus sous leur lourde moustache, et leurs yeux riaient aussi, j'ai pu voir un croissant de lune de sourire briller dedans.
Ils vont bientôt m'emmener. A l'Ombre ils ont dit. Leur royaume, l'Ombre. Ils vont m'enfermer dans un des cachots, dans leur forteresse noire. Leur royaume de cauchemar, l'Ombre.

***

VI / IX


Pas des larmes de crocodile, ni des larmes amères. Non. Je passe ma langue sur mes semblants de lèvres, et je sens. Mes larmes ont un goût de sel. Un goût de mer. Ce sont des larmes de baleine, de grosses larmes gorgées de sel, le sel de la tristesse, de la détresse, du désespoir. Je pleure des larmes de baleine, des larmes de c'est assez, oh oui c'en est assez. Je hurle. Mon chant de baleine à moi. Je hurle jusqu'à l'épuisement, et puis me tais. Définitivement. Je replonge dans les profondeurs insondables de mes océans. Je me tais définitivement.
Les infirmières me regardent, les yeux remplis de détresse, elle résonne d'ailleurs comme une alarme stridente dans leurs yeux, je l'entends, c'est comme un gyrophare ça illumine et ça tourne dans leurs yeux, la détresse ça se voit, je la vois. Les médecins aussi, ils me regardent un peu comme ça. Pas tous, pas totalement, ils ont encore un espoir, l'espoir de me voir. Lever un bras. Attraper leur fourchette en plastique. Piquer un aliment qui semble fait de la même matière que la fourchette, je suis sûr que la nourriture des hôpitaux a le goût de plastique, j'en suis sûr, même pas besoin de goûter, j'en suis sûr. Et puis l'avaler. Ils aimeraient. Plutôt que ces aiguilles dans mes veines dans mon bras, censées distiller de la nourriture liquide directement dans mon corps. Ils aimeraient.
Ou me voir ouvrir la bouche, et émettre un son, n'importe lequel je crois qu'ils seraient content, ça serait un signe, le signe que, ça serait toujours ça, toujours mieux que ce silence si criant, si écrasant, si effrayant.
Ou voir mes yeux se poser sur quelqu'un, me voir les voir, me voir les regarder, eux, vraiment. Pas ces yeux dans le vide, pas mes yeux dans ce vide abyssale, dans cette abime qui fait peur, parce que mes yeux ne reflètent qu'un trou, un trou sans fond, un trou sans fin, rempli de rien, ou alors de vide, de néant. Et il n'y a pas de vie dans le néant, alors le néant fait peur. Le néant de mes yeux, le néant de mon être.
Ils aimeraient. Mais la volonté se heurte à l'incapacité. Ils se sentent inutile, à ne pas réussir à. Et puis la peur. Ils me le disent avec l'alerte dans la voix, si je continue comme ça, je vais crever, ils en ont peur, que je me laisse crever, et eux qui ne peuvent rien y faire, ils ne veulent pas ça, et pourtant. Je m'en fous. Je peux me laisser crever. Ca n'a plus d'importance. Plus rien n'a d'importance. Plus rien. Plus de désir, plus d'envie. Rien. Le vide. Le néant. Parler, manger, voir. Pour quoi faire ? Je n'en vois plus la peine. Je n'y arrive pas sans même essayer. Je n'en vois pas la peine. Plus rien. Le vide. Le néant.

***

V / IX


Le petit tourne la tête vers sa mère, gravement, les sourcils froncés.
-C'est qui ? Il est où Papa ?
Je sens sa confusion, son incompréhension. Je peux même voir le point d'interrogation dans ses yeux. Je le comprends, sa mère lui présente comme son père un homme affalé dans un lit d'hôpital, ce n'est même plus un homme, c'est une épave, un morceau de viande déchiqueté en lambeaux, un puzzle de chair dont les pièces auraient été mal assemblées, c'est une momie, il est recouvert de bandage, c'est un monstre, un monstre qu'on cache comme on peut. Ce n'est même plus un homme. C'est moi.
Mais il est troublé, parce qu'à travers les bandages il voit des yeux, des yeux qu'il connait, à vrai dire les même que les siens, vert pailletés de marron, mais en plus vieux, oui les même yeux mais en plus vieux, les yeux de son père, pourquoi, comment ça se fait, qui es-tu, as-tu mangé mon père, tu lui as volé ses yeux c'est ça, rends-les moi, rends-les lui, rends-moi mon père, je t'en supplies je veux mon père, rends-le moi, maman est triste elle pleure dans les couloirs de l'hôpital elle pleure à la maison quand elle croit que je suis endormi elle pleure mais moi je l'entends à travers le mur elle pleure même des fois comme ça sans prévenir à table ou devant la télé ou dehors quand on joue, rends-lui papa, s'il te plaît, je l'aime mon papa rends-le moi il doit être là me voir grandir m'aimer me protéger de tous les dangers de tous les monstres de monstres comme toi c'est lui qui devait gagner pas toi, recrache-le, pourquoi maman croit que c'est toi papa c'est pas vrai, tu arrives peut-être à tromper maman peut-être à cause des yeux les yeux de papa, mais moi ça ne marche pas ça ne prends pas je suis plus malin que ça plus malin que toi je ne te crois pas tu ne me trompes pas tu n'es pas mon père, recrache-le, régurgite-le, rends-le moi !
C'est un cri, un cri déchirant, un cri muet, le cri de ses yeux, un cri qui me vrille les tympans, m'assomme, me brise le cœur. J'ai mal, un étau m'enserre le cœur, j'ai un poids sur la poitrine, j'ai du mal à respirer, je cherche un nouveau souffle. Pendant que je dormais anesthésié, ils m'ont ouvert le ventre et l'ont rempli de pierres, j'en suis sûr, puis recousu, refermé ni vu ni connu, j'en suis sûr, je ne suis pas une momie en fait je suis le Grand Méchant Loup et je me sens lourd, pesé, écrasé. Et je détourne les yeux. Trop mal, trop honte. Je ne suis plus son père, je ne suis plus le modèle, celui qui papa quand je serai grand je voudrais faire toi, je ne suis plus celui qui lui lisait des histoires avant de s'endormir, celui qui l'accompagnait chaque matin à l'école en lui tenant la main, celui qui vérifiait chaque soir sous son lit et dans le placard s'il n'y avait pas de monstres et récitait une formule magique juste au cas où, celui qui le regardait dormir en souriant, celui qui s'inquiétait aux moindre toussotements, nez qui coulent, pleures, stabilisateurs de vélo enlevés, égratignures, bobos, celui qui frottait sa joue à lui à la barbe (re)naissante contre sa joue, celui qui l'aimait, celui qui. Je ne suis plus son père. Je le lis dans ses yeux. Pour lui, je suis un étranger, un inconnu, pire, celui qui a pris la place de son père, qui l'a tué, remplacé. Un imposteur. Un monstre.
Je ne suis plus.

-Thomas, mon chéri... (elle éclate en sanglot) Je... Je suis désolée, mais...
Elle se tait, ou plutôt elle ravale les paroles qui pourraient encore sortir, parce que c'est inutile ça serait toujours la même litanie alors elle ravale ses mots, les étouffe dans sa bouche, et elle se tait. Elle est épuisée elle n'en peut plus elle se sent vide vidée de l'intérieur, mais elle tient bon. Elle essuie ses yeux d'un revers de la main, mais elle est trahie, ses joues sont encore humides d'une récente rosée, d'une averse au goût de sel, ses yeux sont toujours rouges et noyés sous les larmes et le flot n'est retenue que par une mince barrière une barrière invisible mais qui tient bon elle aussi c'est un barrage de fortune mais qui ne cèdera pas. Elle fait sa brave, mais je vois bien. Elle souffre, ça se voit, et je souffre avec elle, j'ai l'impression qu'on m'enfonce des doigts glacés dans le cœur. Elle a retenue sa respiration, même le temps semble s'être arrêté tout autour, instantané fixé figé. Et elle tourne les talons, me tourne le dos. Elle ne respire toujours pas, et elle fait un pas, puis un autre. En apnée. Lentement, comme si elle avait peur que le sol s'effondre sous elle, mais il tient bon. Elle ne comprend pas que c'est le mien de sol, que c'est mon monde, qui s'effondre. Elle avance. Un pied devant l'autre, un pas après l'autre. Elle franchit le cadre de la porte, et là, elle se dégonfle comme un ballon de baudruche, expulse tout l'air retenu dans ses poumons, ça y est c'est fait, c'est terminé. Je suis sûr qu'elle ferme les yeux. Pas besoin de voir, je le sais. Elle les rouvre, et le monde lui paraît légèrement différent, elle ne saurait dire en quoi, mais il lui paraît différent, dans la perception qu'elle en a, différent, je le sais ça aussi. Elle est sortie de ma chambre. Elle est sortie de ma vie. Elle rejoint l'obscurité du couloir et ses ombres, pour en devenir une elle-même. Sans même un regard en arrière. Je ne la vois plus. Elle s'est sortie de ma vie.
Je me sens lourd. Et brisé. A l'intérieur. Je le sens, quelque chose cloche. A l'intérieur. Et je comprends, je suis aussi ravagé dehors que dedans, et ça fait mal, encore plus mal peut-être bien, infirmière de la morphine pour mon cœur s'il respire encore s'il bat encore, de la morphine, je ne sais pas je ne sais plus, un caillou bloque tout je me sens mal, oui un caillou enraye la machine, ça fait mal, trop mal, ça bloque tout et je n'arrive plus à respirer, tracé plat sur l'encéphalogramme je sombre.

***

IV / IX


J'émerge de la brume, je sors du brouillard. J'ouvre les yeux. Murs blancs, lumière blanche, draps blancs, bandages blancs. Comme s'ils pensaient que le blanc avait des vertus magiques, guérissait de tout. Ils se trompent. Le blanc, c'est l'absence. L'absence de couleur, l'absence de guérison, l'absence de promesse, l'absence d'espoir, l'absence de vie. Je détourne le regard de ce blanc qui m'écœure, je tourne la tête. Sur la table de chevet, il y a de la couleur, il y a de la vie. Un bouquet de roses orange. Je ne sais pas pourquoi ces fleurs s'appellent des roses, celles qu'on offre ne le sont jamais, rose. Toujours rouges, blanches, ou orange. Mais pas rose. Les roses rose sont laides et si pâles. C'est presque comme si on avait honte qu'elles le soient, et pourtant on les appelle roses. Ca n'a pas de sens. Alors sur ma table de chevet, trône un bouquet d'Oranges. Si rayonnantes. Ce sont des pétales d'incendie, de véritables petits soleils. Je donnerai tout pour qu'elles illuminent un peu cette chambre blanche cadavérique. Mon bouquet d'Oranges.
Posé à plat à côté, un dessin d'enfant. Au milieu d'explosions d'arcs-en-ciel, deux bonhommes et un plus petit se tiennent par la main. Papa Maman Moi Pour Toujours.
Et puis, entre les fleurs et le dessin, une photo. Papa Maman Moi Pour Toujours aussi. Nous sommes allongés sur le sable, Lise et moi nous tenons par la main et Lucas est étendu entre nous deux, en croix, ses petites mains sur nos ventres. On devrait les lui clouer. A nos ventres. Papa Maman Moi Pour Toujours. Plus jamais séparés, quoiqu'il arrive. Papa Maman Moi Pour Toujours.
Je me sens vide, je me sens mal. Ils me manquent. Subitement, ça devient vital qu'ils soient là. J'ai besoin d'eux, maintenant là tout de suite, eux deux, juste eux deux, avec moi sinon j'en crève, maintenant là tout de suite, sinon je vais craquer, devenir fou, pleurer, me fêler, exploser, en crever. Maintenant là tout de suite. Papa Maman Moi Pour Toujours.

***

III / IX


J'ai le vertige. Sensation de tomber dans un gouffre sans fond. Un abîme sans fin. Une chute libre, un saut à l'élastique sans élastique, rien pour nous arrêter, rien pour nous remonter, rien où s'écraser. Je tombe. Je tombe dans ma tête, à l'intérieur de moi-même. Je crois que c'est à cause du choc. De la surprise.
L'autre, en face là dans le miroir, c'est moi. Enfin, à ce qu'il paraît. C'est ce qu'on essaie de me faire croire. Pourtant, je ne me reconnais pas. Je le regarde depuis des heures, et rien. Ni chaud ni froid. Rien. Je le leur dis, aux autres là autour. Les médecins me cherchent des excuses, c'est normal après un accident de cette violence, ça laisse des séquelles, des cicatrices. Sur le visage et dans la tête. Ils me disent qu'avec le temps je m'y ferai.
Tu parles. Moi je sais. L'autre, en face là dans le miroir, qui me regarde maintenant depuis un moment, ses yeux dans mes yeux, c'est pas moi. Je le sais. C'est pas moi. L'autre, il a sacrément pris. Le visage surtout. Comme si un semi-remorque lui était passé dessus. C'est pas beau à voir. C'est pas moi.
Taisez-vous, vous autour. C'est pas moi. Moi je sais. C'est pas moi. Je me connais. Moi je sais. Et là, je ne me reconnais pas. C'est pas moi. Non, l'autre, en face là dans le miroir, c'est pas moi.

***

II / IX


Je suis lourd, et pourtant je flotte. Je dérive dans un amas de ténèbres, dans les limbes, des limbes de coton noir. Et du coton, j'en ai dans la gorge, je n'arrive pas à parler, j'ai du mal à respirer, ça me gratte, ça me démange, ça m'étouffe. Mais je ne peux pas le retirer. Je n'arrive pas à bouger. Je n'arrive même pas à ouvrir les yeux. J'ai aussi du coton dans les oreilles, les bruits me viennent étouffés, par bribes, comme provenant d'une vieille et lointaine radio captant mal les ondes émises par la station.
-Mon dieu, il est vivant ?! Dans cet état ?
-Tenez-bon, accrochez-vous !
-Attention on le perd !
-Mais bordel qu'est-ce qui s'est passé ?
-Collision entre deux voitures. Huit morts et un blessé grave en état critique. Trois hommes dans la voiture du blessé, et une famille dans l'autre. Les parents et leur trois gosses. Tous morts sur le coup.
-Mon dieu, il est vivant ?! Dans cet état ?
-Résultat des tests: négatif à la drogue. Positif à l'alcool.
-C'était le conducteur.
-Il les a tué.
-C'était un accident !
-Il les a tué !
-Mon dieu, il est vivant ?! Dans cet état ?
Je suis lourd, et pourtant je flotte. Je dérive dans un amas de ténèbres, dans les limbes, des limbes de coton noir. Je suis un bateau fantôme sans équipage dérivant à l'aveuglette, sans plus aucune sensation. Si ce n'est la douleur. Partout. Omniprésente. Ecrasante. Partout. Coma.

***

I / IX


Les larmes du cétacé



La roue tourne, dans le vide, sans s'arrêter, inlassablement...

Il fait nuit. Il est tard. Ou tôt, cela dépend du point de vue. Il fait nuit. La route défile, insensiblement toujours la même, ligne droite, virage, ligne droite, nuage de brume, ligne droite, virage, ligne droite. Toujours la même. La même route, la même lumière jaune des phares qui découpe l'obscurité, les même bords de route herbeux et le fossé à côté, la même désolation partout. Tout semble endormi. Coup d'œil dans le rétroviseur. Même les deux gars assis derrière, Alex et Damien, le sont. Pas étonnant, après cette soirée de fous. Je remarque un filet brillant de bave dégouliner sur le menton et la veste d'Alex, et je souris. 28 ans et ils dorment toujours comme des gamins.
-Regarde la route bon sang Tom...
Marc, à côté de moi, repique du nez, s'enfonce à nouveau dans ce doux sommeil cotonneux. Mes yeux me piquent, et une de mes mains lâche le volant pour les frotter un peu. Ils se ferment tout seul, et un instant j'ai peur, j'ai l'illusion de ne pas réussir à les rouvrir. Et pourtant si, j'y parviens, je les ouvre bien grand. Cette petite victoire me rassure. Je n'ai pas sommeil non. Je me sens parfaitement bien. A vrai dire, je me sens vivant. J'ai l'impression de ne pas avoir ressenti ce sentiment-là depuis longtemps, très longtemps. Trop longtemps. Depuis la fac je crois. Ca fait peur quand j'y songe, toutes ces années passées dans un semblant de vie factice, un trompe-l’œil pour masquer la vérité: l'ennuie et la peur et la mort. Mais ce soir non, je me sens vivant. Je suis vivant. Je crois que je pourrais décrocher la lune sans problème, les yeux fermés.
Les yeux fermés. Fermés...

Les coups de klaxons à répétition me sortent de ma torpeur. La lumière en face de moi m'aveugle, c'est comme si on braquait deux gros projecteurs dans mes yeux. Crissement de pneus. Marc s'est réveillé en sursaut et se tourne vers moi, les yeux agrandis par la peur, la bouche béante, épouvanté. Je comprends trop tard.
Le choc est épouvantable. Tout explose autour de moi, l'air est changé en bris de verre, et un énorme marteau frappe mon corps, coupe ma respiration dans un effroyable bruit de tôle froissée lacérée déchiquetée. On dirait qu'on éventre un paquebot. Plus rien n'est à sa place, le ciel est en bas, la route en haut, mes cheveux pendent dans le vide, le sang me monte à la tête, et l'asphalte se rapproche de plus en plus, le ciel goudronné nous tombe sur la tête. On s'écrase. Je suis arraché de mon siège, aspiré par le froid extérieur, je suis éjecté violemment dehors. Je m'écrase.

Le froid est pénétrant, violeur, il s'insinue en moi comme une épidémie s'insinue dans un corps, se propage, annihile toute trace de vie pour ne laisser au final qu'un cadavre. C’est à la fois brûlant et anesthésiant. Je n’arrive plus à bouger, pris au piège, je ne sens plus mon corps, seulement cette brûlure atroce qui, j’en ai la certitude, va finir par me consumer entièrement. Je veux hurler mais je n’y arrive pas. Je veux pleurer mais je n’y arrive pas. J’ai peur. J'ai froid. J'ai un drôle de goût dans la bouche, un goût de fer, de sang, de bitume.
Dans un effort qui m'épuise, je parviens à bouger les yeux, et c'est bien la seule chose que j'arrive à bouger. Mon dieu, est-ce que mes dents du haut mordent vraiment le goudron ? Où est le reste de ma mâchoire ? Je tourne mes yeux vers ma droite, le plus possible, quitte à me les sortir des orbites, et je vois. Mes jambes forment un angle bizarre, je ne devrais pas pouvoir les voir et pourtant elles sont bien là, sous mes yeux. Une longue, très longue trainée de sang part de mon visage et s'étale sur des mètres. Une carcasse de fer compactée, compressée, qui ressemble vaguement à une voiture retournée, les roues en l'air, l'une d'entre elle tournant encore, est échouée sur le bord de la route, et un peu plus loin, une autre petite baleine métallique dont le squelette est à nu par endroit émet un long bruit grave, sans doute un cri d'agonie de baleine, ç'en est presque drôle on dirait le bruit continu d'un klaxon écrasé par un poids mort. Et partout, autour de moi, sont-ce des débris de verre, ou bien les larmes cristallisées du cétacé ?
J'ai peur. J'ai froid. A l'intérieur de moi. A vrai dire, j'ai l'impression que mon intérieur ne l'est plus tant que ça. Je lève les yeux au ciel. La lune, d'une blancheur spectrale, irradie une lumière blafarde, et les étoiles tombent, lentement, certaines s'amoncellent sur moi, glacées, mouillées, et fondent sur mon corps. Elles tombent, lentement, aussi légères que des flocons. Il neige des étoiles.
Je crois qu'on a posé des poids sur mes cils, et mes paupières se ferment toutes seules. Je m'enfonce un peu plus dans le sol, la route fond, je m'englue dans des sables mouvants d'asphalte. Je me perds. Je sombre.

Et à quelques pas de moi, la roue de la voiture tourne toujours, dans le vide, sans s'arrêter, inlassablement...

***