samedi 29 décembre 2012

Salem aimait se promener dans les herbes hautes, à l’extérieur de la Cité, le long de la rivière. Ses Jardins Sauvages, comme elle les appelait. Elle emportait souvent son petit bateau en bois que son père lui avait sculpté, à l’époque où il avait encore du temps à lui consacrer. Avant l’ouverture des mines. Elle s’aventurait alors dans l’eau fraîche, jusqu’aux mollets, parfois jusqu’aux cuisses. Là, elle y déposait son navire et le faisait voguer. Le courant de la rivière n’était jamais bien fort, et les jours de grandes chaleurs, les enfants et certains parents venaient s’y baigner. Salem passait des heures à jouer dans l’eau, se souciant peu de tremper ses vêtements. Mais ce qu’elle préférait, c’était après. Quand elle sortait de la rivière, ruisselante. Elle retirait ses vêtements imbibés d’eau et les déposait sur une grande pierre plate pour les faire sécher au soleil. Son fragile corps d’enfant était alors complètement nu, et sa peau si blanche rougissait un peu sous le froid d’un vent léger. Elle faisait quelques pas, appréciant la sensation de ses orteils s’enfonçant dans la boue. Elle marchait jusqu’à un endroit sec, et s’allongeait dans les hautes herbes. Nue. Elle enfonçait ses doigts dans la terre et regardait le ciel, couturé de nuages portés par le vent. Le soleil réchauffait sa peau encore humide. Il y avait toujours quelques brindilles qui se glissaient sous sa nuque ou contre son corps, et la caressaient. Salem adorait cette sensation. Ses poils se dressaient, parfois à des endroits où elle ne soupçonnait même pas en avoir. Des plumes chaudes lui chatouillent le ventre, mais de l’intérieur, comme si elle avait avalé de petits oiseaux qui couvaient maintenant dans son estomac et battaient des ailes. Elle les aimait, ces oiseaux.
Dans ses Jardins Sauvages, elle se sentait en prise avec le monde. Elle se sentait faisant partie d’un tout. Elle se sentait vivante. Là, elle sentait vibrer la terre. Elle l’entendait. Battre au rythme de son propre cœur. Si lent. Si profond. Si dense. Et c’était comme si le cœur de Salem s’accordait avec celui-ci, submergée par une étrange paix relaxante. Elle avait l’impression de s’enfoncer un peu plus dans le sol, et percevait tout, dans des pulsations sourdes entre le sonore et le physique. Les sabots des chevaux portant les messagers qui entraient et sortaient de la ville quotidiennement. Les bêches des paysans raclant la terre meuble. Le bourdonnement constant du chaos des pas des Citadins sur les rues pavées. Et si elle se concentrait suffisamment, elle ressentait même les racines des arbres s’étendre toujours plus profondément sous la terre, à une lenteur qui défiait les âges.
Salem aimait se rendre dans ses Jardins Sauvages les jours tristes. Elle en repartait tout le temps plus heureuse qu’elle n’y était arrivée. Et aujourd’hui avait commencé comme un jour triste.
[...]
Salem était allongée nue dans les hautes herbes des Jardins Sauvages, et les oiseaux s’agitaient dans son ventre. Le soleil séchait sa peau encore mouillée, tandis qu’elle écoutait la terre. Et les oiseaux s’agitaient dans son ventre. Mais pour la toute première fois, ce n’était pas de plaisir. Leurs becs et leurs serres lacéraient désespérément l’intérieur de son estomac, le réduisaient en lambeaux sanguinolents et brûlants. C’était comme s’ils essayaient de se creuser une sortie dans le ventre de l’enfant, complètement paniqués, seulement et entièrement obnubilés par le besoin primal et instinctif de fuir. De s’envoler loin d’ici. Et Salem criait, les larmes aux yeux, les mains plaquées sur son abdomen pour les retenir.
Sous elle, le sol tremblait.
Au loin, là où gisaient les mines, la terre se déchira. Elle s’éventra, comme une plaie dont on écarterait les lèvres encore et encore, jusqu’à ce que la douleur ravage chaque parcelle de son corps.
Alors, Salem entendit la terre hurler.

samedi 1 décembre 2012

Obludarium

"Et voici le sommaire !

Sommaire des Perles Hydrae et Unicornis :

Embrasse la Lune, par Jason Martin
Larmes, par Marie Loresco
L'enfant des grottes, par David Baquaise
La femme des marais, par Célia Deiana
Credo, par Éric Cécile-Parques"

lundi 26 novembre 2012

Face de Porc s’approcha de la mère, et la petite s’attendit presque à ce qu’il se lèche les babines. Il se colla à elle, son groin humant ses cheveux. Il ne remarquait pas l’odeur infâme, que Salem pouvait pourtant sentir à quelques pas de là. Il rapprocha sa bouche humide contre l’oreille de sa mère, murmurant d’ignobles choses. Salem n’avait pas besoin de les entendre pour le savoir. Il glissa sa grosse main le long de la hanche de la femme, et la referma brutalement sur ses fesses. Sa mère ne réagit pas. Elle semblait éteinte. Résignée. Et cela fit plus de mal à Salem que le geste odieux de Face de Porc. Son cœur se contracta violemment, et elle faillit vomir.
Les soldats autour avaient les babines retroussées et les yeux plissés. Ils s’esclaffaient. Et tandis qu’ils riaient, Salem pouvait voir leurs gencives. Le Couronné d’Épines disait dans son Livre que les hommes dont on voyait les gencives quand ils riaient étaient des hommes à qui on ne pouvait pas faire confiance.
Salem n’était pas comme sa mère. Elle ne laisserait pas les choses se produire de cette façon. Tout cela l’écœurait. Son père répétait souvent que les cochons étaient juste bons à être égorgés. Alors elle se précipita sur Face de Porc et lui sauta dessus, plantant ses petites dents dans son épaule. Elle fut surprise de découvrir sous le doux et luxueux tissu une chair plus dure que ce à quoi elle s’était attendue. Mais au moins Face de Porc s’écartait de sa mère. Il avait l’air presque grotesque, à essayer de se débarrasser de la petite fille accrochée à son dos. Salem mordit jusqu’au sang. Elle se demanda un bref instant si le sang de porc avait le même goût que le sien, puis le monde bascula. On la tirait par les cheveux, et elle partit à la renverse, en arrachant des morceaux de peau avec ses dents. Elle s’écrasa lourdement au sol, et fut légèrement sonnée. Un soldat dégaina son épée, et le soleil s’y refléta un instant, comme un clin d’œil divin.
La bouche de Salem s’assécha, ne laissant qu’un arrière-goût métallique, sec, cuivré, au fond de sa gorge. Elle savait que les soldats n’auraient aucun mal à faire couler son sang sur le sol de sa propre maison, et n’auraient jamais à s’expliquer s’ils en venaient là. D’ailleurs, d’autres hommes avaient tiré leur épée. La tension était palpable, presque solide, lourde. Le point de bascule était atteint, tout pouvait dégénérer.
Le moment resta suspendu quelques temps, terrible. Comme la lame au-dessus de la tête de Salem.
Puis le voile pesant se déchira dans un rire. Face de Porc, encore à moitié surpris un instant avant par l’attaque de la petite fille, se tenait maintenant les côtes, secoué de spasmes incontrôlables, les yeux embués de larmes. Les soldats, déconcertés, hésitèrent. Et ce fut suffisant. Ils rengainèrent leur épée, comme si rien de tragique n’avait failli se produire.
Face de Porc soupira pour se calmer. Son visage était encore rouge, et deux grosses perles humides cascadaient sur ses joues. Il regarda Salem avec un demi-sourire, et le sang de l’enfant se glaça. Ses yeux. Ils étaient si froids, si durs. Les mêmes qu’aurait eu un homme en épargnant un insecte.
Son sourire dévoilait ses dents, et Salem aurait juré qu’il s’agissait de crocs. Elle s’était trompée. Sous cette chair flasque et adipeuse ne se cachait pas un porc, mais une bête calme, vicieuse et terrible. Un loup. Face de Porc était un loup. Et c’était le genre d’homme le plus dangereux qui soit.

mercredi 14 novembre 2012

Où il y a un monstre, il y a un miracle.

"Le bois est plein d'yeux qui brillent, le bois est plein de pieds furtifs, le bois est plein de petits cris, il ne faut pas aller dans les bois la nuit !"

The Magic Wood
-Henry Treece-


lundi 5 novembre 2012

Bonefire Night

"Souviens-toi, souviens-toi de ce 5 novembre, de ces Poudres et sa Conspiration. Souviens-toi de ce jour, souviens-t'en, à l'oubli je ne peux me résoudre."

 
"Bonsoir Londres. Permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes excuses pour cette interruption. J’aime, comme beaucoup d’entre vous le confort du train-train quotidien, le sentiment de sécurité et la tranquillité que procure ce qui est familier et répétitif. Je les apprécie, comme tout à chacun.
Mais dans cet esprit de commémoration qui prévoit que les évènements importants du passé, habituellement associés à la mort d’un individu, ou à la fin de quelque horrible bataille sanguinaire, soit célébré par de sympathiques congés, j’ai pensé que nous pourrions célébrer ce 5 Novembre, jour hélas oublié, en consacrant un court instant de notre vie quotidienne à nous asseoir et à bavarder un peu.
Il existe bien sûr des personnes qui ne veulent pas que nous parlions. Je soupçonne qu’en ce moment même, des ordres sont aboyés dans des téléphones et que des hommes armés vont bientôt se mettre en route. Pourquoi ? Parce que même si l’on peut substituer la matraque à la conversation, les mots conserveront toujours leur pouvoir. Les mots sont le support de la compréhension et pour ceux qui les écouteront l’énonciation de la vérité. Et la vérité c’est que quelque chose va très mal dans ce pays, n’est ce pas ?
Cruauté et injustice. Intolérance et oppression. Et la où, auparavant, vous aviez la liberté de faire des objections, de parler comme bon vous semblait, vous avez maintenant des censeurs, des systèmes de surveillance vous contraignants à la conformité et sollicitant votre docilité.
Comment est-ce arrivé ? Qui est à blâmer ? Bien sûr, il y a ceux qui sont plus responsables que les autres et qui devront en rendre compte mais... Encore dans un souci de vérité, si vous cherchez un coupable, regardez simplement dans un miroir.
Je sais pourquoi vous l’avez fait. Je sais que vous aviez peur. Qui pourrait se vanter du contraire ! Guerre, terreur, maladie. Une myriade de problèmes a contribué à perturber votre jugement et à vous priver de votre bon sens. La peur a pris ce qu’il y a de meilleur en vous. Et dans votre panique vous vous êtes tourné vers Adam Sutler, aujourd’hui Chancelier.
Il vous a promis de l’ordre, il vous a promis de la paix. Tout ce qu’il a demandé en échange, c’est votre consentement silencieux et docile. La nuit dernière, j’ai cherché à mettre fin à ce silence ! La nuit dernière, j’ai détruit le Old Bailey pour rendre la mémoire à ce pays.
Il y a plus de 400 ans, un grand citoyen a voulu ancrer à jamais le 5 Novembre dans nos mémoires. Il espérait rappeler au monde qu’impartialité, justice et liberté sont plus que des mots, ce sont des principes. Alors si vous n’avez rien vu, si vous ignorez toujours les crimes de ce gouvernement, je vous suggère de ne pas commémorer le 5 Novembre.
Mais si vous voyez ce que je vois, si vous ressentez ce que je ressens, si vous désirez ce que je désire, alors rangez vous à mes côtés dans un an à compter d’aujourd’hui devant les grilles du Parlement, et ensemble, nous leurs offrirons un 5 Novembre gravé à jamais dans les mémoires !!"
 
-V-
 
 
 
 
 
 
 
 "Toutes les parties de mon être vont périr. Toutes sauf une. Un détail. Un tout petit détail, fragile, mais qui est la seule chose dans ce monde qui ait de la valeur. Il ne faut jamais le perdre ou l'abandonner. Il ne faut jamais laisser personne nous le prendre. J'espère, qui que vous soyez, que vous vous échapperez d'ici. J'espère que le monde changera et que tout s'arrangera. Et ce que j'espère plus que tout, c'est que vous me comprendrez quand je vous dis que même si je ne vous connais pas, même si je n'ai jamais eu l'occasion de vous rencontrer, de rire avec vous, de pleurer avec vous ou de vous embrasser, je vous aime. De tout mon cœur, je vous aime."
 
-Valérie-

dimanche 4 novembre 2012

"Méfiez-vous des gens dont on dit qu'ils ont le cœur sur la main. Comme ce n'est pas sa place, demandez-vous ce qu'ils peuvent bien avoir à la place du cœur."
- Pierre-Jean Vaillard -


samedi 20 octobre 2012

-Tu vois des OVNI ?
-Pas encore.
-Alors garde les yeux ouverts. Ils vont atterrir ici tôt ou tard.
-Qu'est-ce qu'on fait quand ils arrivent ?
-On essaye de vendre papa et maman comme esclaves à un croiseur spatial.

mardi 2 octobre 2012

"I do the exact same thing every day. 
I wake up. I take a shower. I have a cup of coffee. 
I create a new world."

 -Jonathan Hickman-

jeudi 30 août 2012

Make this life a wonderful adventure.

(1:06 à 4:29)

I'm sorry, but I don't want to be an emperor. That's not my business. I don't want to rule or conquer anyone. I should like to help everyone, if possible, Jew, gentile, black man, white. We all want to help one another. Human beings are like that. We want to live by each other's happiness — not by each other's misery. We don't want to hate and despise one another.
In this world there is room for everyone. And the good earth is rich and can provide for everyone. The way of life can be free and beautiful, but we have lost the way. Greed has poisoned men's souls, has barricaded the world with hate, has goose-stepped us into misery and bloodshed. We have developed speed, but we have shut ourselves in. Machinery that gives abundance has left us in want. Our knowledge has made us cynical. Our cleverness, hard and unkind. We think too much and feel too little. More than machinery we need humanity. More than cleverness we need kindness and gentleness. Without these qualities, life will be violent and all will be lost.
The aeroplane and the radio have brought us closer together. The very nature of these inventions cries out for the goodness in men, cries out for universal brotherhood, for the unity of us all. Even now my voice is reaching millions throughout the world — millions of despairing men, women and little children — victims of a system that makes men torture and imprison innocent people. To those who can hear me, I say — do not despair. The misery that is now upon us is but the passing of greed — the bitterness of men who fear the way of human progress. The hate of men will pass, and dictators die, and the power they took from the people will return to the people and so long as men die, liberty will never perish.
Soldiers! Don't give yourselves to brutes — men who despise you — enslave you — who regiment your lives — tell you what to do — what to think or what to feel! Who drill you, diet you, treat you like cattle, use you as cannon fodder. Don't give yourselves to these unnatural men — machine men with machine minds and machine hearts! You are not machines! You are not cattle! You are men! You have the love of humanity in your hearts. You don't hate! Only the unloved hate — the unloved and the unnatural!
Soldiers! Don't fight for slavery! Fight for liberty! In the 17th Chapter of St. Luke it is written: "the Kingdom of God is within man" — not one man nor a group of men, but in all men! In you! You, the people have the power — the power to create machines. The power to create happiness! You, the people, have the power to make this life free and beautiful, to make this life a wonderful adventure.
Then, in the name of democracy, let us use that power! Let us all unite! Let us fight for a new world, a decent world that will give men a chance to work, that will give youth the future and old age a security. By the promise of these things, brutes have risen to power, but they lie! They do not fulfill their promise; they never will. Dictators free themselves, but they enslave the people! Now, let us fight to fulfill that promise! Let us fight to free the world, to do away with national barriers, to do away with greed, with hate and intolerance. Let us fight for a world of reason, a world where science and progress will lead to all men's happiness.
Soldiers! In the name of democracy, let us all unite!
[Cheers]

-Charlie Chaplin-

samedi 11 août 2012

"I like librairies. It makes me feel comfortable and secure to have walls of words, beautiful and wise, all around me. I always feel better when I can see that there is something to hold back the shadows."

-Roger Zelazny-

dimanche 5 août 2012

Celle qui réchauffe le coeur

"J'essayais d'oublier un mot. Et ce mot, il essayait de me forcer à me souvenir. De quelque chose que quelqu'un m'aurait fait avaler et que j'aurais oublié. Je versais donc du champagne sur un estomac plein de bourbon, le tout me martelant la tête, mais c'était le but : battre le mot. Avant que le mot ne me batte.
Puis je me suis souvenu d'un truc que me disait ma mère. Marrant qu'elle se retrouve là à rouler avec moi, essayant de me donner espoir. Elle me disait "Le bois et la pierre peuvent briser tes os, mais tu n'as rien à craindre d'un mot." A choisir, j'ai opté pour le bois et la pierre. Merci, maman."

-Brian Azzarello-

vendredi 13 juillet 2012

La tête sous sa patte se débattait vainement. Il raffermit sa prise, planta ses griffes un peu plus profondément dans la chair de la victime, et le sang perla. Il maintint la tête de l’autre dans la boue, étouffant un gargouillis de noyé. De petites bulles grossirent et éclatèrent à la surface. Le corps fut pris de soubresauts, comme des spasmes, les griffes raclant désespérément le sol et la longue queue rose fouettant follement l’air, pour finir par s’immobiliser complètement. Il appuya encore sur la tête quelques instants, puis relâcha la pression. L’autre ne bougea pas. Un sourire garni de dents acérées se dessina sur son museau, tandis que la touffe hirsute de poils gris s’enfonçait dans la boue.
Qu’un-Œil s’écarta de la dépouille de son fils en boitant, sa patte arrière droite encore marquée par la morsure fraîche récoltée lors du combat. Fut un temps où il s’en serait sorti sans égratignure, malgré son œil aveugle. Il se faisait vieux. L’idée lui déplaisait. Un rat dominant en état de faiblesse était un rat mort. Il s’ébroua, pour chasser les mauvaises pensées. Il n’en était pas encore rendu là.
Les parois du tunnel tremblèrent, et une pluie de poussière et de terre tomba. Qu’un-Œil leva la tête, humant l’air, à l’affut, mais les secousses s’arrêtèrent. Il y en avait de plus en plus ces derniers temps. Et elles semblaient se rapprocher, inexorablement. Qu’un-Œil avait peur de ce qu’il se passerait si jamais elles les trouvaient. Quelque chose de mauvais, certainement. De macabre. Il eut la vision de centaines de rats flottant dans une boue épaisse et gluante de sang, tous morts, des vers blancs grouillant dans leurs fourrures. Il ne put réprimer un grognement. Les idées noires ne le quittaient plus depuis quelques jours, elles s’incrustaient dans son esprit comme la crasse des souterrains. Elles empoisonnaient même ses rêves, désormais. Cela faisait trop longtemps qu’il n’était pas allé voir la Pierre. La contempler, se baigner dans ses doux rayons lui ferait du bien.

mardi 26 juin 2012

Le chant du stryge


Le vent s’engouffra dans les grottes qui rongeaient la montagne, lugubre. Un carillon tinta, et le bruit évoqua des os s’entrechoquant. Mais dans l’obscurité et ce silence glacé, tout prenait un air sinistre.
Une rafale dispersa les cendres froides d’un ancien feu, et il neigea de gros flocons grisâtres. Lentement, ils recouvrirent les corps étendus sur le sol, comme un triste linceul. Les formes allongées, faméliques, étaient celles d’hommes et d’enfants, vêtus seulement de braies et de peaux de bêtes miteuses. Au village, situé à une demi-journée de marche des montagnes, on racontait de drôles de choses à leur sujet. Il se chuchotait qu’ils étaient les brigands qui détroussaient les honnêtes gens sur les chemins menant au village. Il se chuchotait qu’ils aimaient égorger les femmes avec leurs couteaux en os aiguisé. Il se chuchotait qu’ils dévoraient leurs victimes, se repaissaient de leur chair. Les villageois les appelaient les Ogres, et effrayaient leurs enfants en racontant de sordides histoires sur ces monstres.
Oui, il se disait beaucoup de choses sur ces êtres couchés par terre. Et certains avaient encore des morceaux de chair coincés entre leurs dents. La plupart portait des couteaux à la lame blanche, peut-être faite d’os, peut-être humain.
Malgré un teint cireux, leurs visages étaient paisibles. Ils semblaient simplement endormis. Mais aucun souffle ne soulevait leurs poitrines, et ils étaient aussi froids que la pierre sur laquelle ils reposaient.

A l’extérieur, les pins se courbaient sous les assauts du vent, tandis qu’une silhouette s’éloignait, ombre dans la nuit. Elle remonta un épais foulard sur ce qui lui servait de nez, et rabaissa son chapeau, plongeant entièrement son visage dans les ténèbres. Seuls ses yeux scintillaient, comme deux billes noires. Elle tapota un étrange fourreau à son côté, d’un air satisfait. Puis elle rabattit le pan de son long manteau par-dessus, et disparut dans la forêt.

On aurait pu croire que tout était silencieux, hormis le vent dans les pins et dans les grottes. Mais cela aurait été se tromper. Car si on tendait l’oreille, et qu’on écoutait attentivement, on entendrait le vent emporter des restes de mélodies, des bribes, de simples et faibles échos de notes de flûte.

***